Drogue : aide et référence, fier bénéficiaire du Fonds communautaire Bell cause pour la cause 2022
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Lire la suiteEntreprendre une activité sexuelle après avoir consommé de l’alcool ou des drogues est une chose. Consommer de l’alcool ou des drogues pour entreprendre une activité sexuelle en est une autre. On parle alors de « consommation sexualisée », une pratique aux formes variées, de l’alcool comme béquille à la culture du chemsex. Si la pratique reste occasionnelle pour certains, une dépendance peut aussi se développer chez d’autres, et nécessiter une prise en charge adaptée. Le point sur un phénomène peu visible, quoique répandu.
La consommation sexualisée, c’est la prise intentionnelle de substances psychoactives avant ou pendant des activités sexuelles dans le but d’en prolonger la durée, de diversifier ses pratiques ou encore d’améliorer son expérience et ses performances. Les substances utilisées peuvent être variées : alcool, cannabis, cocaïne…
La notion d’intention est importante. En effet, on parle de consommation sexualisée lorsque, par exemple, une personne consomme de l’alcool pour atteindre l’état d’ivresse désiré pour entreprendre une activité sexuelle. Cette situation est différente de celle d’une personne qui, par exemple, consomme de l’alcool en compagnie d’amis dans un bar, rencontre une autre personne et entreprend des activités sexuelles avec elle. Dans ces deux situations, le rapport sexuel se déroule sous l’influence de l’alcool. Toutefois, l’intention initiale n’est pas la même.
La consommation de substances psychoactives à des fins sexuelles a plusieurs objectifs :
Consommer des substances peut ainsi permettre à certaines personnes d’obtenir les rapports sexuels qu’ils souhaitent obtenir en s’émancipant notamment des différentes pressions sociales liées à la sexualité, par exemple le culte de la performance ou du « corps parfait ». Pressions qui, par ailleurs, sont plus fortes au sein de certaines communautés que d’autres.
« Les hommes gais et bisexuels consomment davantage de drogues que leurs pairs hétérosexuels. » C’est ce qu’affirme l’article Trajectoires addictives et vécu homosexuel publié en 2018 dans Drogues, santé et société par les chercheurs Jorge Flores-Aranda de l’Institut universitaire sur les dépendances et Karine Bertrand et Élise Roy de l’Université de Sherbrooke. Plusieurs motifs peuvent en effet favoriser la consommation de substances psychoactives chez les minorités sexuelles, notamment :
Ces caractéristiques propres aux minorités sexuelles peuvent aussi les pousser à trouver refuge au sein de la communauté gaie où, selon cette étude toujours, « certains espaces de socialisation sexualisés tels que les saunas et des événements festifs ont été décrits [par les participants] comme propices à la consommation et à la découverte de nouvelles substances. » (p.39)
La volonté d’explorer, la découverte de soi, la stigmatisation de la société, la construction de cercles sociaux fondés sur la consommation et l’accès facilité aux substances sont autant de raisons qui peuvent ainsi favoriser la consommation sexualisée chez les hommes gais et bisexuels.
Le terme chemsex a été construit à partir des mots « chemical » (substances chimiques) et « sex » (sexe). Le chemsex a été conceptualisé autour des années 2010 par l’activiste et travailleur social britannique David Stuart, qui en propose la définition suivante :
« Chemsex est un terme qui décrit un phénomène culturel lié à la communauté gaie, aussi appelé Party ‘n’ Play (PnP) ou High & Horny (H&H) […] Le chemsex est l’utilisation de toute combinaison de substances incluant le crystal meth, le méphédrone ou le GHB/GBL, spécifiquement dans l’intention d’entreprendre des relations sexuelles gaies. »
Selon David Stuart, le chemsex est un phénomène exclusif à la culture gaie en raison de différents facteurs qui lui sont propres. Il explique que le plaisir lié à la sexualité a été, dans la communauté gaie, particulièrement détérioré notamment par :
L’ensemble de ces facteurs peuvent ainsi contribuer à l’expérience du chemsex. La consommation de substance répondant alors à un besoin de vivre une sexualité plus libre, débarrassée des facteurs inhibiteurs cités ci-dessus. Au-delà du chemsex, ces facteurs peuvent aussi favoriser la consommation sexualisée telle que décrite précédemment.
Le chemsex au-delà de la communauté gaie
En se popularisant, notamment à travers les grands médias, le terme chemsex a été repris pour désigner, plus généralement, des pratiques sexuelles de longue durée, souvent en groupe et sous l’effets de drogues, qu’il s’agisse de relations homosexuelles ou hétérosexuelles. Une erreur selon David Stuart, qui ajoute : « Si votre compréhension du terme « chemsex » est issue des médias généralistes, vous serez pardonnés de croire qu’il définit l’usage de drogues ou d’alcool à des fins sexuelles, par n’importe quelle population. »
Pour en savoir plus sur la définition et l’historique du chemsex, consultez le site de David Stuart.
La consommation sexualisée n’est pas systématiquement problématique, et pour bon nombre de personnes, cette pratique reste occasionnelle. Toutefois, comme toute pratique incluant des substances psychoactives, celle-ci peut créer une dépendance, avec toutes les conséquences que cela peut entrainer : tolérance, augmentation des doses, mélange de substances, risques de surdoses, etc. Pour en savoir plus sur les risques associés aux substances psychoactives, consultez nos articles sur les amphétamines, l’alcool, la cocaïne ou encore le cannabis.
De plus, le contexte sexuel dans lequel s’installe la dépendance amène un enjeu supplémentaire à celui de la consommation.
Maxime Blanchette, travailleur social, professeur à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et doctorant en science de la santé concentration toxicomanie l’Université de Sherbrooke, explique : « Beaucoup se sont introduits à la sexualité par la consommation (alcool, MDMA…). Souvent on consomme pour avoir du fun: avant d’aller dans un bar, dans un rave, etc. Puis de fil en aiguille, une relation se construit entre la sexualité et la consommation. […] C’est là que la dépendance commence à s’installer. »
Le lien systématique entre activité sexuelle et consommation de substances est parfois tel que de nombreuses personnes ne sont finalement plus capables d’obtenir des relations sexuelles satisfaisantes sans avoir consommé. En conséquence, le sevrage des substances utilisées peut s’accompagner d’une période d’abstinence sexuelle avant un retour progressif à une sexualité sobre, ce qui ajoute à la difficulté du sevrage.
Chez certaines personnes, la dépendance peut aussi conduire à s’isoler pour consommer seul. « Des gens vont consommer de la cocaïne ou de la métamphétamine pour se masturber, ce qui peut donner des sessions de plusieurs heures. J’en vois régulièrement dans mes interventions. » explique Maxime Blanchette. En plus des risques de blessures que peut entrainer ce mode de consommation, la personne est également dans l’impossibilité d’obtenir de l’aide en cas de surdose, par exemple.
Pratiques sexuelles à risque
Au-delà des risques liés aux substances, la consommation sexualisée peut aussi favoriser des pratiques sexuelles à risque : négligence de l’usage du préservatif, pratiques « extrêmes » pouvant causer des blessures, non-respect du consentement, etc.
Lorsqu’une dépendance se développe dans un contexte de consommation sexualisée, l’offre de service en santé atteint une certaine limite. Il existe bien des services en santé sexuelle, tout comme il en existe en dépendance. Mais c’est lorsque les deux problématiques sont imbriquées que la prise en charge devient plus difficile.
C’est un constat que font les chercheurs Mathieu Goyette et Jorge Flores-Aranda dans l’article Consommation de substances psychoactives et sexualité chez les jeunes : une vision globale de la sphère sexuelle. Sur la santé sexuelle, on y lit notamment : « Hormis certaines interventions ciblées auprès de groupes jugés plus à risque, la sphère sexuelle se limite généralement à la prévention et au traitement des ITSS, à la planification des naissances, à la procréation assistée et à certains services favorisant l’éducation sexuelle. » Sur les services en dépendance : « Force est de constater que la sexualité, à l’exception des ITSS, ne fait l’objet d’aucune évaluation systématique des besoins, ni de leur lien avec la consommation de substances psychoactives. »
Le constat est partagé par Maxime Blanchette : « On devrait engager davantage de sexologues et travailler plus en collaboration. Tous les intervenants ne se sentent pas à l’aise d’aborder la sexualité. C’est correct de reconnaître ses limites, mais il faut être capable de référer à un autre intervenant. […] L’accès à des sexologues dans le réseau de la dépendance aiderait beaucoup le traitement de ces dépendances. »
La consommation sexualisée touchant davantage les minorités sexuelles, Maxime Blanchette insiste également sur le fait que l’intervenant doit être prêt à avoir une conversation sur l’orientation sexuelle. « Souvent la consommation sexualisée est un symptôme d’autre chose. J’essaie de voir ce qui aurait pu se passer qui aurait fait en sorte que ça, ça a pu se construire au cours de sa trajectoire de vie. Il faut être au fait de ce qu’est la diversité sexuelle et l’identité de genre car beaucoup de choses vont s’inscrire dans l’orientation sexuelle. […] En phase d’exploration, par exemple, on a plus de chances de consommer. Il y a une volonté de s’intégrer, de faire partie de la communauté, intégrer la culture gaie. » Il ajoute ainsi, à propos des personnes qui le consultent : « Souvent ils doivent se départir de certaines amitiés, sinon ils vont être amenés à rechuter et rechuter. »
M. Blanchette précise toutefois que la consommation sexualisée ne se limite pas aux seuls hommes gais et bisexuels et peut concerner, dans une moindre mesure, d’autres populations. Par exemple « certaines femmes qui ont été victimes d’abus sexuels pourraient par la suite consommer pour avoir des relations sexuelles. » explique-t-il.
Information, prévention, réduction des méfaits, prise en charge : des organismes communautaires, œuvrant essentiellement auprès des communautés LGBTQ+, se sont organisés pour répondre à une demande bien présente. C’est le cas par exemple de RÉZO, un organisme aux multiples ressources : prévention, dépistage d’ITSS, ateliers, documentation… Un numéro de téléphone est aussi mis à disposition pour les personnes s’interrogeant sur leur consommation d’alcool ou de drogue : 514-377-2293. Consultez le site web de RÉZO pour en savoir plus.
D’autres ressources comme Ça prend un village offrent de l’aide aux personnes aux prises avec une dépendance au crystal meth, tandis que monbuzz.ca permet de faire un bilan de sa consommation d’alcool et de drogue et d’accéder à différentes ressources d’aide ainsi qu’à un clavardage.
Enfin, des cliniques médicales telles que la clinique L’Actuel, SIDEP+ ou encore la clinique du Quartier Latin sont des cliniques spécialisées en santé sexuelle qui peuvent aussi répondre aux enjeux liés à la toxicomanie.
Pour trouver un organisme LGBTQ+, consultez la liste des ressources sur le site du 211 Grand Montréal ou du 211 Québec régions. Pour de l’aide ou des services en dépendance et usage de drogue, consultez le site trouvetoncentre.com.
Par Alexandre Haslin
Sources :
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