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Solitude et dépendance : « La consommation joue un rôle d’échappatoire »

Au Québec, le sentiment de solitude prend de l’ampleur. Si l’on parle le plus souvent de l’isolement des personnes aînées, c’est bien chez les plus jeunes que ce sentiment est le plus présent. Or, la solitude peut entraîner des répercussions sur la santé physique et mentale des personnes… ainsi que sur la consommation de substances. Nous en avons discuté avec Bianka, intervenante spécialisée en dépendance pour nos services Drogue : aide et référence et Jeu : aide et référence.

Pourquoi la solitude et la consommation semblent-elles si étroitement liées?

Bianka : « La solitude, ça nous ramène à nous-mêmes : on a beaucoup de temps libre, et notamment beaucoup de temps pour penser. Les substances peuvent alors permettre de s’évader, de moins se soucier de sa solitude. Bien souvent les gens craignent d’être seul. On vit dans un monde de surstimulation, on a beaucoup de possibilités, tout le temps. Le fait de ne rien faire et d’être seul peut créer de l’anxiété. La consommation peut alors être une échappatoire à ses propres pensées. La substance va généralement produire un sentiment de bien-être, de gratification immédiate, qu’on peut retrouver dans les interactions sociales et qu’on va essayer de reproduire.

La pandémie a créé beaucoup de pertes de contacts, de relations, ça a créé beaucoup plus d’isolement. On a vu aussi davantage de troubles dépressifs ou de troubles anxieux. Ce sont des situations qui favorisent à la fois l’isolement et la consommation.

Quand on souffre de solitude, c’est aussi plus difficile de prendre conscience d’un éventuel problème de consommation. Si la personne n’a aucun proche qui s’inquiète de son état, qui peut observer un changement dans la consommation, alors c’est possible qu’il y ait moins de lumières rouges qui s’allument, ce qui la rend encore plus vulnérable. »

On a tendance à associer solitude et alcool. Est-ce le cas?

Bianka : « Dans notre société, c’est plus acceptable de boire son verre le soir, que ce soit seul ou accompagné, ce qui peut favoriser la consommation d’alcool. Mais ça dépend vraiment des habitudes de chacun. Le cannabis est également moins perçu comme une drogue de party depuis sa légalisation et va être consommé seul pour relaxer, pour s’endormir. Mais pour d’autres, ça peut très bien aussi être des stimulants. »

 

Que peut faire une personne qui voit un de ses proches s’isoler progressivement et consommer de plus en plus?

Bianka : « D’abord, ne pas rester seule avec ce problème-là. Utiliser les ressources existantes pour être accompagnée et outillée. Ça peut être des lignes d’aide comme la nôtre, par exemple. Notre équipe va pouvoir aller chercher les ressources qui peuvent répondre au besoin.

La personne peut aussi veiller à garder une voie de communication ouverte avec son proche, sans forcer les choses, pour lui montrer qu’elle est là. Elle peut s’intéresser à ses besoins et aller chercher les ressources pour elles : besoin d’hébergement? d’aide alimentaire? d’autre chose?

C’est important de ne pas avoir d’attentes irréalistes envers son proche. Il faut comprendre que sa capacité à se mettre en action n’est peut-être pas celle qu’on s’imagine. Quand on voit un proche souffrir, on a du mal à le tolérer, et on se met en mode action : on va essayer de tout régler pour la personne en pensant sincèrement que ça va être aidant. Mais bien souvent ça infantilise la personne, en plus de nous épuiser nous-même. Entre ne rien faire et vouloir tout régler, il y a un juste milieu. »

Bianka et sa collègue Zeineb sont aussi chargées du projet Ensemble S.E.D.S (Soutien à l’Entourage de personnes Dépendantes et Suicidaires), un programme né d’une collaboration entre notre service et le Centre de prévention du suicide de Montréal. Ce programme vise à soutenir et outiller les proches de personnes vivant avec une dépendance et présentant un risque suicidaire. « On a constaté qu’on avait de plus en plus d’appels de l’entourage de personnes qui consomment beaucoup, qui avaient des pensées suicidaires ou avaient même tenté des passages à l’acte par le passé. » explique Bianka. « Les proches sont très affectés par ce genre de situation et souvent ne savent plus comment aider la personne. […] On a créé ce partenariat pour répondre à ce besoin, outiller les proches mais aussi leur offrir un certain répit, leur réapprendre à aussi penser à elles-mêmes et prendre soin d’elles. »

Quelles sont les ressources pour une personne seule et consommatrice qui souhaite changer sa situation?

Bianka : « Il y a plusieurs ressources qui peuvent aider, comme des centres de jours qui offrent des activités, des organismes qui proposent des appels ou des visites d’amitié, pour s’assurer que la personne est correcte, des centres de crise, des centres de prévention du suicide, etc. Il y a notre service, bien sûr, Drogue : aide et référence. Il ne faut pas hésiter à nous appeler, et à le faire plus souvent si besoin pendant cette période. Notre service reste accessible 24/7 pendant les Fêtes.

Pendant nos interventions, on va par exemple voir avec la personne quel est son plan de consommation pendant les Fêtes. Si la personne sait qu’elle va consommer, notre rôle n’est pas de la convaincre de ne pas le faire. On va essayer d’établir ensemble un filet de sécurité autour de la consommation pour s’assurer que ça se passe le mieux possible malgré la période qui est difficile. On va aussi explorer ce que la personne aime et qu’elle pourrait faire : est-ce qu’il y a une activité qu’elle aimait pratiquer qu’elle pourrait reprendre? un livre qu’elle voudrait lire? Certaines personnes qui sont seules et consomment seules vivent une dépression ou un trouble anxieux. On ne peut pas juste leur dire « Sors de ton isolement, va voir du monde » car c’est possible qu’à ce moment-là, ça ne soit pas une solution appropriée pour elle, ou même pas envisageable. On s’adapte toujours à la situation de la personne, on la prend là où elle est. »

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